Pentecôte individuelle : Il s’en posa une sur chacun d’eux
La Pentecôte ne représente pas simplement le don de l’Esprit saint. Loin de signifier l’arrivée de Dieu en l’Homme, cette manifestation divine appelle au contraire chacun à définir un axe clair de responsabilité personnelle, qui oriente la vie et les choix.
La fête de la Pentecôte intervient souvent dans la vie liturgique comme une sorte de libération. Les jeunes font leur confirmation, le printemps cède aux prémices de l’été, les activités paroissiales s’allègent peu à peu à l’image des bancs du temple.
La Genèse sépare l’humain et le divin
Dans une ambiance de fin d’année, chacun se retrouve alors devant la question existentielle de savoir s’il ressent ou non l’action de l’Esprit saint. Au point que certaines Églises font de cette renaissance par l’Esprit une condition de la foi chrétienne. Pourtant habituelle ce jour-là, cette recherche intérieure est en partie différente de ce que montre le texte biblique : « Des langues semblables à des langues de feu leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d’eux. » (Actes 2.3)
Plusieurs pistes s’offrent au lecteur pour saisir le sens de ce verset, notamment les premiers mots de la Genèse. Très proches du récit des Actes, ils donnent une idée du mode d’action de Dieu dans le monde lors de la Création, par l’évocation du souffle divin planant à la surface des eaux (Genèse 1.2). L’expression évoque une stricte séparation entre le monde de Dieu et le monde des humains. Autant dire que dès le commencement, il est signifié à l’Homme qu’il ne peut se prendre pour Dieu ni accueillir Dieu en lui ; flamme de feu ou non, une distance infranchissable a été placée entre le divin et toute créature.
Un don venant de l’extérieur
Le deuxième enseignement du récit de la Pentecôte est la précision qu’une langue de feu séparée des autres se pose sur chacun des disciples. Le message est donc personnel avant d’être collectif et montre clairement que la démarche du croyant consiste à accueillir une réalité extérieure, plutôt que de trouver sa vérité en lui-même. En cela, le texte revêt une certaine actualité au regard de la mode du développement personnel, dont l’enseignement martèle souvent que l’essentiel vient de soi, de sa confiance et de sa force intérieure. Mais à Pentecôte, point n’est besoin d’être développé, ni même d’avoir travaillé son affirmation de soi ou sa foi : tout est donné sans avoir été demandé, à des disciples apeurés qui s’étaient barricadés dans une chambre.
Un besoin de l’autre
Une troisième piste de compréhension consiste à réfléchir aux conséquences du verbe se poser. Les tableaux représentent souvent les disciples surmontés d’une petite flamme individuelle. C’est dire si aucun d’entre eux ne peut voir sa propre flamme. Là encore, l’évocation laisse entrevoir une impossibilité à connaître de sa propre initiative sa lumière véritable, un don quelconque, ou une capacité particulière.
Cela peut paraître surprenant, mais le chrétien reçoit sa vocation d’autrui. Ce sont les autres qui lui expliquent et lui témoignent de son identité. Recevoir des autres du sens pour sa propre vie correspond d’ailleurs au terme de vocation (être appelé).
Prendre soin du frère
Prenant conscience de l’impossibilité d’appréhender seul le sens de son existence et la nature de sa propre vocation, chacun peut en revanche remarquer la flamme visible au-dessus de son frère ou sa sœur. Il est ainsi appelé à prendre soin de l’autre, de cette flamme qui distingue l’individu. D’une certaine manière, « aime ton prochain comme toi-même » prend ici un sens spirituel où il s’agit de protéger cette lumière que l’on peut discerner lors d’une rencontre. Le geste éthique associé à cette démarche consiste à rechercher et reconnaître chez tout interlocuteur ce qui le rend extraordinaire. Sont ainsi posées, plus que les bases de l’entraide, les fondations d’une démarche d’amour spirituel correspondant à l’agapè dont parle Jésus dans les évangiles.
Dépasser le leurre de la puissance
Dans une civilisation qui accorde souvent plus d’importance au regard de l’autre ou au jugement qu’à la bienveillance envers autrui, ces observations de Pentecôte peuvent paraître utopiques. Il est bien plus aisé de fonder sa compréhension de Pentecôte sur la puissance du souffle divin qui force le barrage des langues, que sur la lumière ténue qui luit sur la tête de son voisin. La proclamation brillante de l’Évangile aura toujours meilleure presse que l’écoute du frère.
Cette scène lumineuse est en effet passée inaperçue aux yeux du grand public de l’époque, qui n’a rien vu ni entendu de ce qui se passait dans la chambre haute. L’étonnement de la foule vient des effets de l’Esprit saint qui permettent de parler la langue du voisin. Nul ne voit la flamme planant sur l’autre.
Peut-être ce constat malheureux est-il dû à un aveuglement par les modes du temps. Lorsque l’on se trouve soi-même en pleine lumière ou sous les projecteurs de la publicité et des idées du moment, lorsqu’on se replie sur un écran ou sur une identité, on ne peut discerner une simple flamme. Le leurre de lumière a fonctionné.
C’est dans l’ombre des jours et la nuit de l’âme que se distinguent les flammes ; c’est lorsque l’être humain, fatigué de briller ou de craindre son frère si différent, a perdu ses espoirs comme les disciples retranchés dans la chambre haute, qu’il peut accéder à la dimension de l’espérance. C’est là que la Pentecôte prend tout son sens.
Focus - Relier les textes entre eux
Lire la Bible suppose d’accorder de l’importance à l’écriture et donc aux auteurs et à leur cadre culturel. À l’époque où le livre des Actes est écrit, les premiers chrétiens sont essentiellement issus du monde hébraïque et en conservent la culture, en tout cas les réflexes.
Le premier geste en matière d’interprétation et de symbole est donc de reprendre des récits connus et des expressions pour rechercher les liens et filiations. Ainsi, l’épisode de la Pentecôte ne peut être isolé des écrits anciens, notamment de la Genèse dont il reprend des symboles.
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