Le temple de Guebwiller a 200 ans
Parmi les premières implantations réformées dans le sud du Haut-Rhin en-dehors de Mulhouse, la paroisse de Guebwiller a rapidement eu à sa disposition son propre temple, inauguré le 30 mai 1824. Retour sur ce bicentenaire fêté le 2 juin 2024.
C’est de Suisse, et plus précisément de Bâle, que sont venus les fondateurs de la paroisse. Ancienne possession de l’abbaye de Murbach, la vallée de Guebwiller était entièrement catholique. La vente des biens de l’abbaye, incluant le château des Princes Abbés, l’actuel château de la Neuenbourg, après la Révolution française en tant que « bien national » a permis l’installation des premières familles protestantes. En 1804, le château est acquis par la famille de Bary, qui y installe une fabrique de ruban de soie. Jakob Christoph de Bary-Merian est bientôt rejoint par d’autres maisons de commerce qui s’établirent à Guebwiller : Riggenbach, Nicolas Schlumberger, Ziegler, Greuter et Cie, Martin Thyss à Buhl et Lukas Preiswerk à Soultz. Ces entrepreneurs sont particulièrement intéressés par la force hydraulique des nombreux moulins à eau existants sur la Lauch ainsi que par la main-d’œuvre nombreuse et peu qualifiée, et donc économiquement intéressante. Ces « manouvriers » sont encadrés par des artisans qualifiés qu’il serait anachronique de qualifier d’ouvriers au sens moderne. À l’époque des manufactures antérieures à la révolution industrielle, il s’agit de rassembler sous un même toit un grand nombre d’artisans, « ouvriers de Fabrique », réunissant l’ensemble des métiers nécessaires pour la manufacture du textile avec des manœuvres pour la manutention et les autres tâches accessoires.
Une population ouvrière
Si les familles des propriétaires sont bien référencées, les sources manquent pour connaître le détail de l’origine de cette population d’artisans. Seules les archives paroissiales permettent de s’en faire une idée. Ainsi les premières obsèques concernent-elles un certain Nicolas Segesser, originaire de Tannwyl dans le canton de Berne en Suisse. Un travail approfondi sur ces archives permettrait certainement une étude sur la composition sociale et l’évolution de cette population. On peut cependant penser que, comme Nicolas Segesser, la plupart devaient venir de Suisse alémanique et donc être de confession protestante helvétique, c’est-à-dire plus zwinglienne que calviniste au sens propre. Ce qui expliquerait les spécificités entre paroisses du Piémont des Vosges. Les fabriques de la vallée de Thann ayant été fondées par des Suisses venus de Genève, leurs ouvriers étaient sans doute plutôt de langue française et de confession calviniste.
Au-delà de ces hypothèses, il est acquis qu’à Guebwiller en 1804, environ 200 artisans arrivent à la fabrique et forment cette petite communauté protestante. Si l’on ajoute leurs familles, ce sont environ 500 personnes qui sont enregistrées en 1819. Durant toute cette première période, les cultes et cérémonies sont organisés dans le grand couloir du château, autrement dit dans ce qui était à l’époque un espace intérieur à la fabrique. Martin von Brunn, prédicateur-instituteur, lui aussi venu de Bâle et apparenté à la famille de Bary-Merian, est engagé et stipendié par la famille en 1805.
La construction d’une nouvelle fabrique sur le site de l’actuel lycée Deck, la volonté de la famille de transformer le château en lieu d’habitation et de transformer le jardin, mais aussi la nomination d’un pasteur, le mulhousien Pierre Mäder, non plus pris en charge par les familles mais rémunéré par l’État au titre des Articles organiques à partir de 1819, l’ensemble de ces facteurs font que la « Réunion des notables » décide d’acquérir en nom collectif une parcelle de terrain située entre la nouvelle manufacture et le jardin désormais privatif du château, derrière la monumentale église Notre-Dame bâtie par les Princes Abbés entre 1764 et 1785. C’est là que seront construits en 1824 le temple puis ses bâtiments attenants dont le presbytère et l’école protestante. La « Réunion des Notables » fera don des terrains et des bâtiments à la paroisse en 1834. Ce qui explique pourquoi le temple, à la différence de la plupart des temples bâtis en Alsace et Moselle avant 1871, est aujourd’hui propriété de la paroisse. Un orgue Callinet a été installé en 1827 puis agrandi par Heinrich Koulen en 1884 et restauré en 1977 par Alfred Kern pour le compte de la maison Muhleisen.
Un espace chaleureux
Dès l’origine, le temple est de dimension modeste, en quadrilatère rectangle. L’entrée se faisant sur le petit côté donnant sur la rue avec la chaire en face et une galerie courant sur trois côtés avec une disposition des bancs conforme à l’esprit de ce que le théologien Bernard Reymond appelle le « carré protestant(1) ». En effet, la table de communion est flanquée de bancs de chaque côté permettant un vis-à-vis des fidèles, symboliquement réunis autour de la table et de l’espace de la Parole. Cette disposition se retrouve aisément dans d’autres temples du consistoire réformé de Mulhouse construits au XIXe siècle. Allant de pair avec l’absence d’abside, elle souligne également le sacerdoce universel en effaçant toute distinction dans l’espace entre clercs et laïcs.
Une première rénovation importante a été réalisée à l’occasion du centenaire de la paroisse en 1905. Quasi intégralement financée par la famille de Bary, dont le blason orne très discrètement le fût de la chaire, cette rénovation a donné au temple son aspect actuel avec son sol en mosaïque encore aujourd’hui en parfait état, ses boiseries chaleureuses et son plafond plat dont les traverses comme les bancs sont ouvragés en motifs évoquant la vigne. Outre l’électrification et la mise en œuvre d’un système de chauffage, c’est aussi l’aspect extérieur du temple qui a été profondément modifié en 1905 avec l’adjonction d’un clocher très élancé dont l’élégance est mise en valeur par la perspective de l’entrée de ville.
Plus qu’un lieu de culte à proprement parler, le temple était aussi le centre symbolique, le marqueur de la présence protestante dans la ville de Guebwiller. Jusque dans les années 1980, on pourrait presque parler de « cloître séculier ». Car la présence protestante était diffuse dans la ville. Si l’école protestante, dans les locaux de laquelle Alfred Kastler, prix Nobel de physique est né en 1902, était effectivement à l’origine dans le prolongement du temple, elle s’est installée dans l’actuelle école Kienzl en 1900. L’hôpital protestant, installé dans une aile du couvent des dominicains à partir de 1856 puis dans un bâtiment spécialement construit en 1891, est ensuite devenu la maison de retraite Les Érables, aujourd’hui déplacée plus haut dans la ville au Bois-Gentil. Quant au Foyer protestant, il se trouvait dans l’ancienne maison Weber, au centre-ville jusqu’en 1979. Toutes les fonctions nécessaires à la vie de la communauté, éducation, santé, socialisation, étaient ainsi réparties dans un espace de quelques centaines de mètres autour du temple.
La paroisse a concentré à partir des années 1980 ses activités autour du temple avec la construction d’un nouveau foyer en 1991. La distribution des salles et la cohérence de l’ensemble paroissial font que l’on passe aujourd’hui aisément d’une salle à l’autre et d’un usage à l’autre tout en pouvant respecter une spécificité d’occupation.
Des pierres vivantes
Fêter un bicentenaire n’a pas d’intérêt si l’on ne peut se projeter au moins sur les décennies à venir. De même que la construction du temple et de ses dépendances puis de ses annexes dans la ville correspondaient à une évolution démographique et sociale de la communauté, il faut adapter nos bâtiments à nos besoins et à ceux de la cité. Ainsi le projet paroissial se donne-t-il pour horizon 2035 pour envisager peut-être une nouvelle rénovation du temple – en restant évidemment fidèles à l’esprit du lieu – mais aussi la création de logements dans des surfaces actuellement vides. Situés au-dessus de l’actuelle cuisine, ces espaces étaient déjà anciennement des logements. Leur réinvestissement éventuel répondrait à cette intention d’être une communauté vivante, pleinement insérée dans son environnement citoyen en répondant à un besoin de densification de l’espace urbain tout en donnant les moyens à la paroisse d’envisager sereinement son avenir.
Dans la « Pétition des habitans (sic) de Guebwiller » du 23 juillet 1819, par laquelle ils sollicitent la prise en charge de la rémunération de leur pasteur, les demandeurs évoquent le « Temple qu’ils ont établi, il y a environ dix ans, dûment autorisés. » Le temple à proprement parler n’existait pourtant pas encore. Il est donc évident que pour ces fondateurs, le temple désigne la communauté des fidèles « professant la Religion réformée » qui se réunissent en quelque lieu que ce soit pour prier et recevoir les « secours de la Religion », en ce sens la fondation du Temple, avec un T majuscule, remonte à 1805. De même pour nous aujourd’hui, le temple n’a de sens qu’à la mesure où il est un lieu fonctionnel et accueillant, chaleureux et offrant un cadre propice à la vie spirituelle du seul Temple qui compte, à savoir la communauté dont l’objectif est « d’être une communauté ouverte et fraternelle, assurant l’ensemble des missions de l’Église. Elle met l’accent sur l’appropriation d’une culture théologique protestante et promeut une vie spirituelle active au sein de la paroisse et de la cité(2) ».